Joel-Peter Witkin : PHOTOS XXe

Le photographe Joel-Peter Witkin choisit ses modèles ou plutôt ses "acteurs" parmi des êtres humains extra-ordinaires qui renvoient le spectateur à sa propre étrangeté. Il passe des annonces pour les solliciter, dont voici un exemple qui résume très bien une partie de ses travaux: "Cherche des prodiges physiques en tous genres, microcéphales, nains, géants, bossus, transsexuels avant chirurgie, femmes à barbe, phénomènes de foire en activité ou à la retraite, contorsionnistes (érotiques), femmes à un seul sein (central), personnes qui vivent au quotidien comme des héros de BD, satyres, jumeaux siamois joints par le front, personnes pourvues d'un jumeau parasite, jumeaux ayant un bras ou une jambe en commun, cyclopes vivants, personnes pourvues d'une queue, d'ailes, de nageoires, de griffes, de pieds ou de mains inversés, de membres éléphantesques etc... Porteurs d'organes surnuméraires: Bras, jambes, seins, organes génitaux, oreilles, nez ou lèvres. Toute personne aux organes sexuels de taille inhabituelle. Dominateurs et soumis sexuels. Femmes au visage poilu ou avec d'importantes lésions cutanées et prêtes à poser en robe de soirée. Cinq androgynes disposés à poser ensemble pour incarner Les Demoiselles d'Avignon. Anorexiques chauves. Hommes-squelettes et hommes-pelotes à épingles. Personnes possédant une garde-robe complète en latex...".

 

Les modèles viennent ensuite à lui et acceptent de suivre les indications de Witkin qui, tel un metteur en scène, les place dans un décor avec des costumes et des accessoires en studio ou en extérieur, dans des conditions de studio. Dés que la prise de vue est terminée, vient le reste du travail: Correction sur le négatif, grattage, déchirure, abrasion, découpage, collage, rehauts de peinture ou d’encaustique... Witkin modifie tout aspect de la réalité qu’il ne souhaite pas voir figurer dans ses tableaux photographiques parce que "Le monstre artistique" présenté dans l’œuvre de Witkin peut poser des problèmes de réception par le spectateur, l’image photographique du monstre humain peut être insoutenable, c’est pourquoi Witkin rejette l’idée de photographie documentaire pour minimiser la sensation d’horreur. Il veut assumer une position totalement subjective, en transposant l’insupportable dans le monde de l’art. "C’est seulement grâce à son transfert dans une réalité différente –la dimension artistique- que la présence du monstrueux paraît possible, et on peut même affirmer qu’elle est irrémédiablement liée à une attitude subjective où la réalité est prétexte à la transposition et à la réinvention des formes".

 

Joel-Peter Witkin scrute les corps avec acuité, montrant leur sublime beauté comme leur irrémédiable décrépitudePar là même ils sont le symbole d’un autre monde, un ailleurs différent et caché, non pas plus loin mais à revers de notre monde, dans notre monde, c’est l’univers des rejetés, des parias et des reclus en un mot, les êtres défaillants marginalisés par notre sociètè et ses normes. Le monstre qui révulse, qui met en crise le système de références, en un mot la norme, est recherché par Witkin parce qu’il dévoile ainsi un champ de tous les possibles. Le monde comporte le différent, l’écart à la nature auquel nous sommes trop peu souvent confrontés, que nous jugeons anormal car hors norme mais, comme le dit Laurent Jenny: "Et pas plus que nous ne devons nous réfugier dans les outres-mondes, nous ne devons abstraire quoi que ce soit de ce monde-ci, ni le bas ni le singulier ni le difforme".

 

"je sais que le fondement de tout mon travail repose sur le désespoir de l'âme. Mes bienfaiteurs photographiques sont morts. Je vis pour créer des images représentant la lutte pour la rédemption des âmes“. Joel-Peter Witkin.

 

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