Autoportrait - Reflection (Self-portrait), Lucian Freud

Lucian Freud - Autoportrait - 1985
Autoportrait

Autoportrait de Lucian Freud est une huile sur toile de 56,2 x 51,2 cm terminée en 1985 (Collection privée). Comme son nom l'indique, elle représente l'artiste lui-même dans son style caractéristique réaliste et acéré: peint dans une texture épaisse, dans des tons bruns, gris et blancs, sous un éclairage électrique qui fait briller la chair (il y a en effet chez Freud une recherche obsessionnelle du rendu de la lumière, de ses reflets). Freud ne travaille pas au pinceau mais à la brosse, ce qui rend la chair plus sensible sous les accidents de la matière. Grâce à cette grande maîtrise des empâtements et à l'utilisation du blanc d'argent (appelé aussi blanc de cremnitz) qui renforce la luminosité et le relief des compositions, la représentation de son portrait gagne encore en vérité et en gravité. Le peintre ne veut dissimuler aucune partie de son visage, il se peint avec des traits anguleux, exécutés dans un réalisme sévère "Je veux que la peinture soit chair". Dans ses autoportraits, l'artiste britannique explique qu'il doit peindre ce qu'il ressent sans tomber dans l’expressionnisme. Pour lui l'objectif ne consiste pas uniquement à illustrer les traits de sa personnalité, il s'agit plutôt de réaliser la présentation la plus puissante possible. Il veut que "la couleur soit celle de la vie" et que les choses qu'il peint "aient l'air d'être venues d'elles-mêmes". De cette précision obsessionnelle, se dégage une étrangeté troublante, une chair triste et froide.

 

Au niveau de la composition, le cadrage est resserré autour du visage. Nous sommes face à un exemple de présence du sujet au temps présent. Rien ici ne semble perturber le dialogue entre l'observateur et le sujet. Le regard est d’une rare vivacité, empli de profondeur et semble interroger le spectateur tout en révélant une certaine vulnérabilité. On ne peut pas ne pas l'observer: "J'espérais que si je me concentrais suffisamment, l'intensité de l'observation à elle seule introduirait la vie dans les tableaux". D'ailleurs, l'anedocte suivante rapportée par M. Gayford illustre parfaitement cette transfiguration de l'existence voulu par l'artiste: "Alors que Lucian Freud était en train de peindre son "Self Portrait Reflection" en 2002, sa femme de ménage jeta un jour un coup d'œil par la porte de l'atelier, vit le tableau sur le chevalet dans la pénombre et lui dit: "j'ai cru que c'était vous!" On voit donc à travers la réaction de cette femme qu'il a réussi l’exercice de se peindre avec la plus grande justesse possible et ce avec une telle maîtrise qu'on ne ferait pas la différence entre le tableau et le modèle. Pourtant, il n'a fait comme d'habitude aucune concession sur son autoportrait, il l'a traité de la même manière que ses autres tableaux: une peau abîmée qu’il a dépeint avec une cruauté clinique très particulière et incisive. Les défauts sont transcendés par un geste esthétique assuré. Freud peint ce qu'il voit, juste cela. Mais pas que, si on y regarde de plus près...

 

En effet, le peintre britannique joue avec la double acception du mot anglais reflection (nom de cet autoportrait) qui signifie aussi bien reflet que conscience de soi. Ses autoportraits sont donc des reflets de sa personne sans pour autant être de simples représentations, imitations du réel. Il ne se peint pas que comme il se voit (dans le miroir qui lui sert d'outil de travail) mais également comme il se ressent. "Pour moi le tableau est la personne", répète Lucian Freud, son crédo depuis toujours. Et c'est d'ailleurs, ce que Freud cherche à faire, il veut rendre le sujet vivant: "J'aimerais que mes portraits ne soient pas comme les gens, mais soient les gens". Une approche qui exige encore plus d'efforts dans l'art de l'autoportrait, qui donne ici un face-à-face plein de vérités entre le peintre et lui-même et aussi entre la toile et le spectateur. La force et la complexité des autoportraits de Lucian Freud relèvent d'ailleurs très bien cette tension entre intériorité et représentation, entre réflexivité et mise à distance. "Pour se représenter soi-même, il faut essayer de se peindre comme si on était quelqu’un d’autre. Dans l’autoportrait, la ressemblance, c’est autre chose. Je dois peindre ce que je ressens sans tomber dans l’expressionnisme". Lucian Freud.


---> Retour à l'index de L'Histoire du visage dans l'Art.

Écrire commentaire

Commentaires: 0