Mondrian Piet, Broadway Boogie woogie (1942, 1943), analyse d'oeuvre

Broadway Boogie woogie (1942)
Broadway Boogie woogie (1942)

" Broadway Boogie woogie ", réalisée à New york pendant la seconde guerre mondiale, est l'une des dernières oeuvres achevées de Piet Mondrian et constitue l'aboutissement ultime de ses recherches picturales.

 

Elle se présente un peu comme une marqueterie en cours d'élaboration s'ordonnant à partir d'un réseau de lignes ou bandes verticales et horizontales d'égale largeur, segmentées parfois en carrés approximatifs, parfois en rectangles. Ces bandes semblent circuler autour de "blocs" rectangulaires ou exceptionnellement carrés, traités en aplats simples ou composés sur lesquels s'inscrivent ici ou là d'autres pavés. Mondrian se limite aux couleurs primaires : rouge, bleu et jaune ainsi qu'à une couleur neutre, le gris pâle, tandis que le fond reste blanc. Il est à noter que le noir, utilisé antérieurement dans ses oeuvres, presque toujours en tant que contour, disparaît ici.

 

On sait, notamment par les écrits théoriques du peintre, que sa démarche, essentiellement spiritualiste, passait, selon ses propres termes, par la "dénaturalisation ". Il faut entendre par là le renoncement à toute forme de représentation de la nature. Un texte de septembre 1926, jetant un regard rétrospectif sur son travail, explicite sa position :

 

" La composition à la façon de l'apparition naturelle (approche mimétique) devait être quittée pour qu'elle soit une peinture vraiment nouvelle. Un travail continu amenait le groupement à une composition exclusivement basée sur l'équilibre de rapports purs sortant de l'intuition pure par l'union de la sensibilité approfondie et de l'intelligence supérieure. Bien que des rapports se forment dans la nature et dans notre esprit suivant les mêmes lois principales et universelles, de nos jours, l'oeuvre d'art se manifeste d'une autre façon que la nature. Parce que de nos jours, dans l'oeuvre d'art, il faut tâcher d'exprimer seulement ce qui est essentiel de la nature, et, de l'homme, ce qui est universel. "

 

L'application de ce principe avait produit, de 1917 environ, jusqu'à son travail New-Yorkais, des oeuvres rigoureusement abstraites où l'évocation d'un quelconque référent visuel est indécelable. Ici cependant, il est clair que le tableau renvoie à la ville américaine et au rythme rapide et syncopé d'une école de Jazz qui par sa vivacité et son dynamisme s'oppose au blues traditionnel. Le titre dissipe les doutes qu'on pourrait encore avoir : " Broadway " n'est-ce point cette stricte géométrie des rues qui se coupent invariablement à angle droit, encadrant les buildings et accueillant les placards publicitaires violemment colorés, n'est-ce point la grouillante et furtive circulation des véhicules et des piétons, le scintillement des lumières et le clignotement des néons. " Boogie-woogie " : Comment ne pas repérer dans l'alternance colorée des petits pavés disséminés rythmiquement sur la grille initiale, dans leur morcellement, la traduction plastique de ce qui caractérise ce type de musique, faite pour danser. Ne retrouve-t-on pas dans l'a variabilité même des facettes - rarement les carrés sont rigoureusement carrés -, l'irrégularité des temps (durée des notes qui s'enchaînent à grande vitesse), les accents qui caractérisent cette musique. Encore peut-on voir dans la trame orthogonale, si l'on choisit de la lire frontalement, la circulation des ascenseurs ou le jeu complexe des barres d'échafaudage, le puzzle des fenêtres sur les façades des buildings.

 

Cette interprétation du tableau comme traduction d'une grande métropole dont la vie trépidante est associée à un type musical spécifique contrevient-elle aux intentions profondes de l'artiste telles qu'elles sont définies dans le texte cité plus haut et qui impliquent une rupture radicale avec la représentation ? Pour répondre à cette question il est nécessaire d'examiner brièvement le parcours spirituel et pictural de Mondrian.

 

Issu d'une famille calviniste, il s'initie très tôt à la théosophie qui consiste dans la quête du Divin en l'homme et dans le monde par analogie, dans la recherche d'une vision intime des principes qui gouvernent la réalité du monde. Cette doctrine rejette l'individualisme et aspire à l'universalité. Il nous sera aisé de retrouver cette position dans les écrits et sa mise en application dans les oeuvres majeures du peintre. Mais il produit tout d'abord des oeuvres naturalistes, divisionnistes et fauves avant de se tourner vers le cubisme. Cependant, s'il adopte le système formel simplificateur de Braque et Picasso, il renonce à préserver l'objet pour ne plus considérer que les rapports formels et colorés :

 

" Le cubisme restait un moyen d'expression fondamentalement naturaliste. Cette volonté des cubistes de représenter des volumes dans l'espace était contraire à ma conception de l'abstraction qui est fondée sur la conviction que l'espace doit être détruit. C'est ainsi que j'en vins à l'usage des plans. "

 

Il ne s'agit donc plus de peindre une façade ou un arbre, mais de dégager un ordre qui transcende la nature et exprime l'harmonie universelle. Ainsi progressivement Mondrian accomplit un travail d'épuration où les accidents, les particularismes sont abandonnés pour ne plus retenir, autour de 1917, que l'opposition fondamentale entre ligne verticale (expression de la volonté) et horizontale (symbole du repos), son souci essentiel étant de trouver le point d'équilibre parfait. On peut suivre facilement cette évolution en parcourant ses séries " d'arbres " et de " façades " qu'il réalise entre 1912 et 1917.

 

Cette recherche d'équilibre, qui se borne dans un premier temps à explorer en noir et blanc les possibilités d'articulation entre verticales et horizontales se développera avec l'apport des couleurs pures : rouge, bleu, jaune, et des non-couleurs comme il les appellera : le blanc et le gris. A partir de constituants plastiques réduits à ce double couple d'opposition, Mondrian explorera toutes les possibilités de composition (surface libre, cernée, colorée, ligne ininterrompue ou fragmentée...), jusqu'à la fin de sa vie, persuadé que :

 

" La plastique de l'équilibre peut préparer la plénitude de l'humanité et devenir la fin de l'art. "

 

Toute expression qui passe par autre chose que ces purs rapports de lignes et de couleurs est donc bannie de cette démarche qu'il appellera " néoplastique ".

 

Pour affirmer d'avantage le caractère autonome du jeu de ces éléments, leur indépendance par rapport au format, il renversera après 1920 le support carré (la toile) sur sa pointe.

 

Concernant Broadway Boogie Woogie et la question posée initialement, ont peut certes dire, que Mondrian a peut-être dérogé à son programme en tentant de ramasser sur la surface de la toile l'extraordinaire diversité à la fois sonore et visuelle de l'Amérique citadine des années 40, d'en saisir la quintessence en usant d'un vocabulaire plastique restreint mais pour lui fondamental : couleurs primaires (rouge bleu, jaune), non couleur (le gris et le blanc), verticales, horizontales. Mais on peut aussi considérer que c'est l'agencement de la ville et le "climat ", psychologiquement sécurisant pour le peintre, qui firent écho à ses préoccupations de toujours. Dans l'esprit de Mondrian coïncidèrent alors sans doute, à un certain niveau, imaginaire et réalité, ainsi que l'envisageait Schoenmaekers, l'un des maîtres théosophes de l'artiste :

 

" Nous apprenons maintenant à traduire la réalité dans notre imagination par des constructions qui peuvent être contrôlées par la raison, de façon à récupérer plus tard ces mêmes constructions de la réalité " donnée " de la nature, parvenant ainsi à une pénétration de la nature au moyen de la vision plastique. "

 

Quoiqu'il en soit, que Mondrian se soit écarté ou non de ses principes, " Broadway Boogie Woogie" comme " Victory Boogie Woogie ", sa dernière toile inachevée en 1944, année de sa disparition, figurent sans doute parmi ses toiles les plus heureuses et les plus réussies.

 

Techniquement, le Mondrian des années 1940 travaillait avec des rubans adhésifs qu'il déplaçait méticuleusement sur la toile, par ajustements successifs, à mesure que le travail avançait et presque toujours à partir d'un petit croquis réalisé à la mine de plomb ou au crayon sur des bouts de papier parfois minuscules, avant de procéder à la mise en couleur, elle-même reprise et précisée.

 

Signalons enfin que Mondrian ne fut pas isolé dans sa démarche. Il fut un membre éminent du groupe De Stijl, (qui est d'abord le nom d'une revue), auquel participa Théo Van Doesburg. Ce dernier ayant décidé de rompre vers 1926 avec le dogme de l'orthogonalité en introduisant notamment des angles aigus, plus en accord selon lui avec le dynamisme de la vie moderne, le groupe De Stijl éclata vers 1931, l'ancien compagnon de Mondrian ayant entre temps fondé l'élémentarisme. Dans la mouvance du Néoplasticisme signalons les groupes qui participent du même esprit : Cercle et Carré (1929), Art concret, Abstraction-création (1931-1936) Naturellement, le travail de Mondrian est à rapprocher de celui de Malévich, Delaunay et Kandinsky, qui orientèrent à peu près simultanément la peinture vers l'abstraction, mais dans des perspectives sensiblement différentes. Il est clair que leur postérité est innombrable aujourd'hui. Stella, Carl André, Newmann, etc... ont indiscutablement une dette envers eux.

 

Source: ac-grenoble.


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Commentaires: 8
  • #1

    lola (dimanche, 15 novembre 2009 12:29)

    je trouve le sujet très intéressant. Il est très complet et je dois dire ke j'aime beaucoup

    merci

  • #2

    yoann3384 (lundi, 21 juin 2010 00:18)

    merci pour cette analyse, je présente une option arts visuels au CRPE (professeur des écoles) et elle m'a été trés utile!

  • #3

    Céline (mercredi, 29 septembre 2010 11:30)

    Merci pour cette analyse à la fois claire et synthétique.J'envisage de travailler avec mes élèves sur cette œuvre.Me voilà parée !

  • #4

    saber tounsi (samedi, 26 février 2011 18:41)

    merci pour ces information tres importan

  • #5

    Dubois (mercredi, 11 mai 2016 19:47)

    Il y a t'il un prolongement pour cette œuvre?

  • #6

    Ombeline Guillosson (lundi, 20 mars 2017 17:03)

    j'adore le style Mondrian c'est beau j'adore son coté spirituel c'est fascinant

  • #7

    Jurassien (vendredi, 07 août 2020 20:01)

    Est-ce une blague, la plupart de de ses œuvres sont inachevées. Et malheureusement lorsqu'il avait le temps de les achever, c'est affreux, simple. Alors oui il explique ses "tableaux" ok, est-il peintre ou auteur. Pour moi Mondrian n'est absolument pas un peintre. Effectivement mettre du jaune, rouge, bleu sur une toile tout le monde peut le faire.... Il était surtout un bobo, suivant le vent, ont le voit clairement dans ses différentes "œuvres", il suivait le vent. En tout cas il n'est pas peintre, auteur (au mieux). Un tableau expliqué est un tableau raté.

  • #8

    lol (dimanche, 23 octobre 2022 11:59)

    pourquoi a t il choisit le titre broadway boogie woogie ??